La marée revient ; je veux gagner ce chemin ( qui n’était guère qu’à une portée de fusil , et que je n’avais pas même perdu de vue ) je trouve une bordure de boue très noire , large de 7 à 8 toises, je rétrograde ; je n’en vois pas la fin , et la mer gagne du terrain, ce qui m’inquiète. A la distance de cinq ou six cents pas du fossé de boue, était la maison d’un marchand de vin, qui me faisait des signes et criait, mais je ne le vis ni l’entendis. La circonstance était critique ; je prends enfin mon parti. Après avoir fait quelques pas , j’enfonce , et je ne vois plus que le cou et le dos de mon cheval ; je me couche sur le ventre, et je vois mon compagnon de détresse lever ses deux bras, agir du train de derrière , et tracer avec moi, une espèce de tranchée dans une pâte très épaisse. Quatre personnes arrivent avec des cordes et des planches. Mon pauvre cheval n’en pouvait plus . Bien sûr de sortir de ce mauvais pas , je lui lie le cou et les jambes au-dessus du poitrail ; on l’aide , il reprend son premier mouvement ; et arrive enfin sur le sable. Tant que le danger dure, l’âme a de l’énergie ; mais quand il est passé , la nature parle. Je fus saisi par un tremblement convulsif presque général. » Vous devez la vie, me dit le marchand de vin , à un mois de sécheresse ». Ce détroit est un précipice de boue liquide, dont on ne connaît pas la profondeur ; beaucoup de voyageurs y ont péri ; venez chez moi ; vous changerez d’habits , de linge , et je crois qu’un bon verre de vin de Malaga rétablira vos forces. Je n’osai rien offrir à cet honnête homme , mais je payai largement sa servante, mon cheval mangea l’avoine, et nous fûmes coucher une lieue plus loin, d’où j’écrivis au maire de Honfleur ce qui m’était arrivé , en le priant de faire mettre vers cet endroit un poteau indicatif.

Après un séjour à Caen de trois ou quatre jours chez mes parents, je reviens à Paris par Rouen. Arrivé un peu tard à Pont- Audemer, je prends un cheval quitte, en m’informant s’il n’y a pas de bois

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